LUNA SONATA
Quelques G plus tard, nous voilà sortis de la ionosphère.
En contrebas, les vestiges de l’ISS nous offrent une dernière haie d’honneur, comme un check point avant d’affronter le boss final ; nous entamons notre Voyage dans la Lune.
D'ici 6 heures et 8 minutes, nous atteindrons le point de sortie de la sphère d'influence. A partir de là, c'est l'attraction gravitationnelle de la Lune qui fera le reste du travail. En attendant, le protocole impose une vigilance stricte. Dans les faits, je pourrais déjà me retirer dans ma cabine : en dehors des manœuvres d'approche, le système est quasiment autonome. L’ironie de l’astronautique moderne : les fusées d'aujourd'hui sont de véritables prodiges technologiques, mais en cas d’anomalie grave, impossible de bidouiller un truc à la mailbox d’Apollo 13. Aucun astronaute n’en parle pour autant : on a tous été formé à la loi du silence, et j’imagine, aussi à une forme de superstition. “Sois un bon garçon, suis le protocole, ferme-là” : le Scoutisme Cosa Nostra? Quoi qu’il en soit, je reste donc rivé sur les panneaux de commande, et je contrôle une nouvelle fois la trajectoire, destination Tycho; cratère résultant des mêmes putain d’astéroïdes aliens qui ont provoqué la fin de nos frères dinosaures. Dans une certaine mesure, la race humaine doit donc en partie son existence à celle de ces gros cailloux. Ça ressemble dangereusement au genre de pensées que j’ai sous la douche, je crois qu’il est temps de faire une pause. Arrivé à la cuisine, je saisis mon livre de cuisine "Space flight delicacies” par Major Chris Hadfield et quelques bribes de conversation :
BRAD PITT
C’est quoi cette déco Syd Mead ? Enfin, c’est très …
Alors...
VALENTINA TERECHKOVA
C’est sûr qu’on est loin de la boîte à sardines de Vostok…
Page 42, "Sandwich Monte Cristo Gagarin" :
BILL GATES
Quelle taille ça faisait déjà ?
"Placez la Tortilla sur le plateau en aluminium anodisé du four à microgravité. Réglez la température à 177°C."
VALENTINA TERECHKOVA
Petit.
Aïe! Putain c’est chaud !
BILL GATES
Mais vous, Valentina, vous étiez une voyageuse, une conquérante ; nous, nous ne sommes que des touristes …
"Une fois la Tortilla réchauffée, - au cœur du magma, ouais - y étaler une fine couche de Tvorog en tube. La tension de surface ainsi créée évitera à votre garniture de s'échapper vers le filtre à particule le plus proche bla bla bla... " Heureusement, on n’a plus ce problème aujourd’hui...
LINUS TORVALDS
Mais non Bill, nous on est la “Dream Team”! …
BILL GATES
Savoir expliquer, savoir communiquer, sans ironie et sans cynisme, c’est, effectivement, une dimension importante de ma mission.
"Ouvrir un sachet de jambon à l'os (préalablement réchauffé) et le répartir à votre guise dans la tortilla."
LINUS TORVALDS
Pour échapper à la vulgarité et son mélodrame, il n’y a que la tragédie et le rire. Nous n’avons pas peur de l’outrance, car la vérité est scandaleuse et le saint est un fou. Rassure toi Bill, c’est pas de moi, c’est de Maximilien Friche.
BILL GATES
J’imagine … Pas si facile de réussir à échouer.
Du jambon à l'os, il est marrant... Il reste du poulet en tranches, ça fera l'affaire.
"Dégustez." Mmm… Pas pire ....
BRAD PITT
Et vous Kazdem, qu’en pensez-vous ?
En train de filer à l’anglaise, je fais mine de ne pas avoir entendu la question.
KAZDEM QUAZDEM
Qui? Moi? Désolé Bradley, je dois y retourner ! Protocole!
Je croise le regard de Valentina. Elle n’est pas dupe, mais ne dit rien. Qu’est ce que je disais, la Loi du Silence...
De retour dans le cockpit, des dissidents sont au centre d’une conversation animée.
STEVEN SPIELBERG
(...) et c’est comme ça qu’on s’est retrouvé avec Truffaut dans Rencontre du troisième type. Je me souviens encore avoir annoncé à Colombia que ça allait coûter 2 ou 3 millions… Je ne sais pas comment ils ont pu avaler ça.
THOMAS BANGALTER
2 ou 3 millions…Tu sais, si ces mecs sont encore en vie, je te garantie qu'ils doivent se dire que finalement c'était plutôt raisonnable. Quand je pense au désastre Tenet, ou même à cette bouse de "Gravity"... A l'époque, je me souviens avoir lu que le film avait coûté plus cher que l'intégralité du programme spatial indien.
STEVEN SPIELBERG
Vu comme ça c’est sûr… Pas étonnant que l'industrie ne s'en soit pas relevée ! Colombia, Miramax, Universal, même Dreamworks : on était déjà des Dinosaures...
THOMAS BANGALTER
Mais Steven, toi tu l’as vu arriver la comète ! Quand ils ont commencé à tourner intégralement en green screen et à remplacer les acteurs par des cascadeurs en tenue à capteurs, t'étais déjà sorti de la mascarade.
STEVEN SPIELBERG
Et j’y croyais encore, pourtant ! A l’arrivée d’Unreal Engine, j’étais convaincu que ça allait ouvrir de nouveaux horizons, j’avais même...
Gêné par le brouhaha d’à côté, Steven s’arrête dans son élan ; de l’autre côté du cockpit, le ton monte :
GUY MAN DE HOMEM CRISTO
(...) Mais nan, là Georges, je te suis pas. C’est normal qu’on t’en parle encore !
GEORGES LUCAS
Écoute ! Je t’assure, je devais vraiment rester consultant quand Disney m’avait fait la proposition : j’avais tout ! La trame, les scripts… Mais putain, tout ça, c’est du passé ! Quand est-ce qu’on va finir par me laisser tranquille avec Star Wars ? Mon musée, mon centre de recherche, ça tout le monde s’en fout ?...
GUY MAN DE HOMEM CRISTO
Si si, mais les midi-chloriens, franchement…
Je suis tenté de soutenir la thèse du robot, n’ayant de toute façon jamais aimé ce mauvais soap-opera qu’est Star Wars, mais on ne peut pas être de toutes les batailles.
Je songe malgré moi à la séance à laquelle je viens d’assister.
Le cinéma, les studios… on peut dire ce qu’on veut, mais grâce à eux, on rêvait encore.
Et plus que jamais dans le cas de l’exploration spatiale, on ne peut pas nier l’impact de la fiction sur la réalité.
Sans 2001, pas sûr qu’on aurait assisté au dépassement scientifique qui a suivi.
Et si on n'était pas allé sur la lune, je serais sûrement devenu médecin comme mon père en rêvait. Idem pour le rapprochement des agences spatiales américaines et russes après le biopic sur Valentina.
Tiens d’ailleurs, c'était Milla dans le film, j’avais pas fait le rapprochement.
Et bah, une fois n’est pas coutume, je vois le verre plutôt à moitié plein sur la question. “Fantasme et vocation”, je devrais prendre des notes pour mon autobiographie (scientifique, ça paie pas les gars).
Je sors mon crayon et réalise que la mine est pétée. Ironie du sort mes c***. Si on est dans une simulation, le dev se fout vraiment de ma gueule.