Bip, Bip, Bip Bip.
Les yeux encore collés par mes sécrétions lacrymales de la nuit passée, j'émerge péniblement des plus ou moins tendres bras de Morphée. Un rapide coup d’oeil à mon Google Pixel 7 vient confirmer mes doutes : je me suis involontairement soustrais à la première salve de tonalités stridentes ayants pour but de me réveiller. Il est 5 heures et 19 minutes, et ces 19 minutes pourraient déjà pénaliser mon riche emploi du temps de la journée.
Encore ébloui par la lumière de mon téléphone, je saute hors du lit et rejoins la salle de bain de toute urgence. Pipi, café, douche, le tout en moins de 10 minutes : estimant avoir rattrapé environ 8 de mes 19 minutes de retard, je m’autorise quelques instants avant de m’habiller.
A l’extérieur, la lumière du soleil pénètre vigoureusement l’atmosphère terrestre. Il fait déjà lourd, et une fourmilière de techniciens s’affairent au loin ; la chaleur ne semble pas les accabler. Le thème du "Soleil blanc du désert" résonne encore dans ma tête depuis le visionnage de la veille; le 13ème de ma carrière. Je contemple la stérilité des steppes alentours : s’habituer au vide, c’est primordial.
Pendant la nuit, une véritable armada de véhicules s’est amassée sur le parking de l’hôtel du centre, et les premiers pèlerins s’y agglutinent déjà.
Dans le couloir qui me mène aux ascenseurs, j'observe le tumulte des uns et des autres qui, comme la tradition l’exige, se saisissent de stylos pour dédicacer leurs portes. Avec le temps, mon nom, sur la porte de la chambre 21, est devenu presque illisible. Je croise quelques regards : certains apeurés, d’autres surexcités. Les portes se ferment, et le miroir de la cabine me contraint à affronter le mien : il est froid, imperturbable. Jupitérien.
Quelques minutes plus tard, me voilà assis au premier rang du bus nous emmenant à notre destination. Devant nous, la “crème de la crème” a retardé l'échéance du collectif encore quelques minutes. Dernière conf-call peut-être, dernier moment de solitude, sûrement. Possible aussi que le confort d’un intérieur cuir climatisé vs le revêtement velours de notre vieux shuttle ait pu peser dans la balance.
A l’arrière, la troupe qui m’accompagne a presque l’air de partir en colo. En dépit de leurs nombreuses phases d'entraînement, ils ne semblent pas avoir conscience de ce qui les attends.
“- Tu captes, toi?-Moyen j’ai que de la 5G...
- Relou, j’aurais bien aimé rappelé la maison, j’espère qu’ils penseront à nourrir mon levain, sinon je vais devoir tout me retaper au retour. ”
Un bref moment de silence et retour en apesanteur : les éclats de rire et l’excitation ont laissé place au bourdonnement sourd des grands instants. Un rapide coup d’oeil jeté par dessus mon épaule me le confirme alors : les esprits s’affutent, assimilent... ils commencent à flipper.
“Fumistes”, me dis-je.
Sur ma droite, j'aperçois Valentina et Buzz, immortels héros de mon enfance, plongés en pleine discussion, et je me rappelle la raison de ma présence ici.
Il est 6H22, nous arrivons sur le pas de tir.
Je me suis porté volontaire pour piloter cette mission ; c’est la toute dernière. Après nous, plus personne ne marchera sur la lune.
“Colonisons Mars !”, “Exploitons le sol de Psyché 16”, “Dépensons des milliards pour intercepter Oumuamua !” Ces grandes ambitions du passé me reviennent comme les détails un peu flous d’un rêve de lendemain de soirée. C’était pourtant la raison qui avait poussé des centaines d’hommes et de femmes comme moi à consacrer leur vie à la science, mais contrairement à l’adage qui avait fait foi pendant des siècles, dans bien des domaines, on avait fini par arrêter le progrès.
Les dernières décennies n’ont pas été tendres, et après les multiples bouleversements planétaires, la conquête spatiale ne se situait pas très haut sur l’échelle des priorités de l’espèce humaine.
Aujourd’hui, les budgets sont clos. La NASA, Space X, et même Virgin Space, qui avait repris le flambeau un temps après Elon, ont tous mis la clé sous la porte.
Pour écrire l’ultime chapitre de cette histoire, c’est une obscure entreprise française qui s’est proposée pour financer et organiser le voyage. Pour tenter d’amortir l’investissement, ils proposèrent à 22 personnalités de participer à cette mission “Stanley”.
Deux ans plus tard, nous voilà tous réunis sur le tarmac.
Etonnement, les éminences débordées de l’industrie et de la tech n’avaient pas été les plus difficiles à convaincre. Le premier arrivé, Bernard Arnault, président directeur général de LVMH-Kering, vient à ma rencontre :
“- Commandant.”
J’apprécie l’esprit de synthèse, et lui offre en retour mon hochement de tête le plus solennel. D’un pas décidé, il rejoint Steve Walid Jobs et Jeff Bezos et continue sa ronde de fraternité.
Daniel Arsham, qui a accouru dans leur direction, leur lance un :
“Alors messieurs, vous avez respecté la tradition ?!”
L’incompréhension totale qui s’en suit me tire un sourire en coin.
“Ah oui, c’est vrai, vous n’étiez pas dans le bus, mais la coutume exige que les passagers s'acquittent d’un dernier petit pipi sur la roue de leur véhicule, comme notre ami Gagarin avant de monter à bord de Vostok 1 !”
L'hétérogénéité de cette sélection de 22 embarqués continue de m’étonner.
Il est 6h38 et les bavardages vont encore bon train. Je suis tenté de frapper dans mes mains comme le faisait madame Perisset, ma maitresse de CE2, pour signifier la fin de la récréation, mais je me ravise. A la place, je me contente d’un “C’est l’heure”.
Valentina, en élève modèle, s’exécute, et la troupe lui emboîte le pas.
Quelques instants plus tard, je me trouve à bord de la passerelle. Même pour le flegmatique que je suis, c’est le moment des grandes espérance. J’ai beau être passé par là plusieurs fois, la répétition de l’exercice n’aura pas eu raison du bouillonnement ressenti à l’idée de quitter ma propre planète ; nous vivons, certes, une époque où les raison de se réjouir ne sont pas nombreuses, mais je jubile de fouler à nouveau le sol lunaire.
Le vétéran Aldrin, lui, ne dissimule pas son enthousiasme : depuis plusieurs minutes déjà, il revient sur les moindres détails de sa mission Apollo avec le premier ministre canadien, Drake Graham, qui l’écoute avec un intérêt courtois.
“Et là je vous jure, j’ai du utiliser mon stylo, un Fischer AG-7 je me rappelle! Un moment de fulgurance, sans ça on serait encore là haut.”
Sur leur droite, la secrétaire générale du HCR, Madame Hadid, mine de prendre quelques clichés par la fenêtre. Elle a sûrement eu droit au même topo la veille.
43° 18′ S, 11° 12′ O
C’est à ces coordonnées précises que je viendrai déposer le LEM ANO (Ault/Nike Outerspace) : au coeur de l’immuable Tycho. Paradoxalement, ce bon vieux cratère de 107 millions d’années, est assez récent à l’échelle de l’univers. Lui et ses copains de la famille 298 Baptistina ont fait pas mal de grabuge à leur époque, provoquant bon nombre de collisions cosmiques, et supposément l'extinction des dinosaures sur terre.
Ce ne sont pas ces éléments astro-géologiques qui semblent avoir retenu l’attention de mes coéquipiers in situ, mais l’échange auquel j’assiste me confirme qu’ils ont tout de même checké le plan de vol.
“-Tu sais que Tycho, c’était l’anomalie magnétique du monolithe dans 2001 ?!
- Mais nan! J’avoue que l’anecdote est pas mal, à une autre époque on en aurait presque fait un sujet à la rédac.”
Après leurs carrières sportives, Williams & Hamilton avaient été à la tête d’une mini révolution dans le monde médiatique, et leur network WH était aujourd’hui l’un des supports d’information les plus suivis.
SWJ et Zuckerberg, impassibles, sont encore en tenue casual tech, rivés sur leurs ordi portables de type militaire, renforcés contre les chocs et les attaques ddos.
Mon premier instinct est de les imaginer en train de converser avec l’AI du vaisseau. En réalité ils révisent le manuel de bord et les consignes de sécurité, comme on leur a demandé. Les préjugés ont la vie dure.
Contre toute attente ils ont suivi la procédure à la lettre. A l’heure H, mes 22 passagers sont équipés et installés dans la capsule, qui semble tout droit sortie de l’imaginaire de Syd Mead. La normalité est un drôle de concept: à mes débuts, la boîte à sardines que l’on nommait Soyouz ne choquait personne.
C’est le moment de faire mon speech: une formalité. Je vais revenir sur les grandes lignes de la mission dans un blabla conventionnel histoire de motiver les troupes et de décristalliser les angoisses.
Ce que je ne leur dirai pas, c’est à quel point ce court voyage sera de ces expériences déterminantes qui change le cours d’une vie, et à terme, notre perception du monde. Le fight club des astronautes.
Les images de mon premier clair de terre me reviennent subitement. J’avais dû me retenir de pleurer, pour le bon déroulé de l’opération certes, mais aussi, et surtout, parce que je n’aurais pas pu essuyer mes larmes, et encore moins me moucher. Le charme de la gravité réduite.
+personnages présents : brad pitt/houseago, musk, terechkova / mila
T - 20 minutes :
- Chargement du logiciel de vol
- Vérifications des systèmes de navigation et de guidage stellaire
- Désaccouplement des ponts
- Retrait de la plate-forme de service et des personnels non essentiels
- Tests allumage moteurs
- Purge des chambres de combustion
- Contrôle de la communication entre la navette et le Centre de lancement
- Fin des mesures inertielles
Le compte à rebours peut commencer.