Pendant des décennies, les collapsologues avaient prédit l’effondrement de notre civilisation. A l’inverse, il ne lui était rien arrivé, et rien, semble-t-il, ne lui arriverait jamais plus.
Mais une vague d'évènements était venue bouleverser la léthargie humaine à la manière d'une douce marée. Pas de tsunami ou de Big One, non : celle qu'on ne voit pas venir, mais qui emporte pourtant vos tongs, submerge les serviettes et détruit le chateau de sable.
Tout doucement, il avait semblé à certains observateurs que la Lune s'en allait. Chaque jour, chaque seconde, notre petite soeur prenait un peu plus ses distances et sortait de l'attraction terrestre. Pas non plus à une vitesse folle, mais tout de même quelques dizaines de kilomètres par an depuis … depuis quand déjà ? Juste assez pour comprendre que, dans la balance, l'instabilité de l'inclinaison de la Terre et la spirale climatique consécutive pesait davantage que les audiences de Kanye au Superbowl.
Résultat : la science et les scientifiques avaient subitement repris de la côté, et du service.
La Chine et l'Inde seules puissances à avoir encore un semblant de programme spatiale, avaient relancé la machine et envoyé une équipe sur place place afin de comprendre ce qui nous arrivait, à défaut de pouvoir y faire quelque chose.
Sorties grandes gagnantes de l'indépendance de la Californie et de NY NY en 2027 (et de la fuite des cerveaux américains qui avait suivi), la Russie et l'Europe s'étaient elles aussi mobilisées rapidement, avec la création d'un pôle multi-latéral dédié.
Quand on cherche, on trouve généralement quelque chose, mais pas toujours ce à quoi on s'attend. Ce fut ce qui se passa en l'occurrence.
Car comme si la perte irrévocable de notre satellite ne suffisait pas, il avait fallu qu’on y fasse une seconde découverte: un signal lumineux émanait de sa surface.
Sans surprise, quelques minutes à peine avaient suffi pour voir fleurir les théories les plus folles :
PROOF: EARTH IS FLAT AND CONGO ASSEMBLED SPACE LASER ON MOON
MICHAEL JACKSON WAS AN ALIEN AND IS STILL ALIVE IN MOON CAPSULE
ILLUMINATI GROUPS ERECT PERPETUAL MOTION MACHINE ON MOON
La réalité n'en était pas moins ubuesque pour autant : les fouilles effectuées par les chercheurs de la base lunaire Zhongshan avaient révélé un artefact monumental, sorte de Menhir Bauhaus, dont la surface réfléchissante n'avait, à l'évidence, pas été façonnée par la nature.
A ce stade nous n’en savions pas beaucoup plus, si ce n’est qu’il ne constituait, à priori, aucun danger.
Avant de lever le voile sur leurs conclusions, le conseil de sécurité des nations unis avait souhaiter faire appel à une sorte de (air quotes) “Dream team” d’individus trans-nationaux chargée d’observer, témoigner, augmenter l’ “awareness", et tout petit dans les notes de bas de pages : incarner le sursaut dont l'humanité avait besoin.
Parmis eux : des universitaires, chercheurs, représentants politiques, humanitaires, magnats de presse, capitaines d’industrie, dont le “taux de reach” atteignait, par coïncidence, environ 78,5% des habitants de la planète. Reconversions exemplaires, sources d'inspirations sans équivoque, tout ça, tout ça.
C’était le point de départ de notre mission, donc.
Les premiers “on board” furent Bernard Arnault et François-Henri Pinault, hier grands concurrents du luxe et des affaires, aujourd’hui inséparables co-secrétaires généraux de l’OMS.
Jour J, heure H, instant T, ils viennent à ma rencontre :
BERNARD ARNAULT /FH PINAULT
( d'une seule voix)
- Commandant.
D’un pas décidé, ils rejoignent Lisa Jobs et Jeff Bezos, et continuent leur ronde de fraternité.
Daniel Arsham, sortant du bus le premier, a accouru dans leur direction, et leur lance un :
DANIEL ARSHAM
Alors, vous avez respecté la tradition ?!”
L’incompréhension totale qui s’en suit me tire un sourire en coin.
DANIEL ARSHAM
Ah ouais, c’est vrai, vous n’étiez pas dans le bus, mais la coutume exige que les passagers s'acquittent d’un dernier petit pipi sur la roue de leur véhicule, comme Gagarin avant de monter à bord de Vostok 1 !”
L'hétérogénéité de cette sélection de 22 embarqués continue de m’étonner.
Il est 6h38 et les bavardages vont encore bon train. Je suis tenté de frapper dans mes mains comme le faisait madame Perisset, ma maitresse de CE2, pour signifier la fin de la récréation, mais je me ravise.
QAZDEM BÜLENT
C’est l’heure
Valentina, en élève modèle, s’exécute, et la troupe lui emboîte le pas.